Encre sur papier, format 25×35
Lacan et les maths
Jacques a dit :
« Il n’y a de vérité que mathématique, c’est-à-dire écrite » (1973)
« La mathématique fait référence à l’écrit, à l’écrit comme tel, et la pensée mathématique, c’est le fait qu’on peut se représenter un écrit. » (1978)
À partir des années 70 Lacan qui s’initie aux mathématiques s’intéresse particulièrement à la topologie, aux nœuds borroméens, à la théorie des ensembles, aux nombres irrationnels et à l’infini. Il essaie de penser un algèbre de l’inconscient. Il s’appuie sur la modélisation mathématique pour représenter la structure psychique, pour par exemple dessiner les liens qu’entretiennent le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique.
M’appuyant en partie sur le livre de Virginia HASENBALG-CORABIANU, De Pythagore à Lacan, une histoire non officielle des mathématiques, sur des documents radiophoniques et des souvenirs de l’almanach Vermot, j’ai survolé et rapproché des notions de psychanalyse, de mathématiques et de linguistique pour construire les associations contenues dans ces dessins.
Grâce à la lecture modérée mais régulière de Jacques Lacan, j’explore les liens et les codes qui me donnent des idées innovantes. Ces mises en perspective que je peux appeler calculs dans le sens d’opérations, me permettent de rapprocher Arthur Rimbaud de Louis de Funès sans ironie, de rapprocher MC Escher et la sexualité, un cintre et l’objet du désir, le pape et le sinthome…
Et Pouic-Pouic devient l’idiolecte
(ensemble des usages du langage propre à un individu donné).
Jacques a dit :
« Eh bien, lalangue n’a rien à faire avec le dictionnaire, quel qu’il soit. Le dictionnaire a affaire avec la diction, c’est-à-dire la poésie et avec la rhétorique par exemple. Ce n’est pas rien, hein ? Cela va de l’invention à la persuasion. C’est très important, seulement c’est pas ce côté-là qui a affaire avec l’inconscient »
« Au-delà de sa variété, lalangue comporte des constantes et d’abord la distinction du code et du message. »
Et la synesthésie devient la règle :
Arthur Rimbaud, dans Alchimie du Verbe dit : Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne. J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.
J’inventai la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
L’association des voyelles à des couleurs décrit la synesthésie. Le mot, du grec Syn (union) et Aísthêsis (sensibilité) veut dire perception simultanée — expérience subjective dans laquelle des perceptions relevant d’une modalité sensorielle sont accompagnées de sensations relevant d’une autre modalité sans qu’elle soit stimulée. Une personne peut écouter des notes de musique et y associer des sensations de couleurs.
Mais dans l’apprentissage du langage, le son et le sens ne sont-ils pas fondamentalement synesthésiques, puisque leur association stable, fortuite et répétitive pendant l’enfance nous permet ensuite d’avoir la conviction que c’est ainsi qu’il faut le dire ?
Par chance on ne calcule pas un mot comme un chiffre, et c’est derrière la virgule, par la précision décimale qu’on perd le nombre entier, et qu’on trouve l’espace de la nuance et de la poésie. Si la décimale précise un nombre au point de le rendre irrationnel, elle donne à la définition d’un mot une émancipation irréprochable en littérature.
V. Segalen précise que la littérature a depuis longtemps utilisé ce procédé. Dès l’époque védique, les poètes hindous usaient de corrélations sensorielles. Les Hébreux ont également dans les textes anciens des équivalents synesthésiques. La civilisation gréco-latine également. Goethe dans sa théorie des sons et des couleurs aussi.
Isaac Newton (1643-1727) a spéculé sur l’existence d’une loi physique qui pourrait expliquer la relation entre les sept intervalles musicaux dans le système d’octave et les sept couleurs qu’il a identifiées dans le spectre de la lumière.
Voilà comment dans ce dessin, Arthur Rimbaud a la vue percée par un arc-en ciel qui évoque ses visions.
Jacques a fini par dire :
« Si vous avez compris, vous avez sûrement tort. »