À douze ans je me suis électrocutée en fixant un potentiomètre sur ma lampe de chevet. La fulgurance de l’impulsion a transformé mon corps en soleil. J’ai fait du tourisme dans ma chambre comme un fantôme de son vivant. Chose agréable et dangereuse. Me décide pour des études scientifiques dans le lycée huppé de la ville, on me dit que ma tête fonctionne en ce sens. Consultation du proviseur « on va faire de vous quelque chose ». Mais j’entends de la poésie à la radio et par électrolyse, le plan du proviseur s’efface, ma curiosité se déplace tout le temps. Mes pensées zigzaguent, mes désirs varient, j’ai envie de tout essayer.
Donc j’entends de la poésie à la radio et cette curiosité se déplace de l’électrode de la science (cathode qui vérifie) vers l’électrode de l’expression (anode qui suppose).
Je sens que je peux faire des expériences aussi fortes avec les mots qu’avec les choses. Se procurer des mots ne coûte rien, et donne à penser. Penser devient une expérience dure, comme on dit sciences dures. Je découvre la gratuité.
Comme il n’y a pas d’école d’écriture je me laisse guider par ce que j’aime aussi : dessiner. J’entre dans une école d’architecture puis d’arts appliqués et finalement aux beaux-arts. Je m’épanouis dans une école qui met à disposition des ateliers de sculpture et des outils numériques sans hiérarchie de classe ni de mode.
Ce parcours hétéroclite m’a permis d’envisager le sens comme une technique. La technique de l’enchevêtrement. En rapprochant réflexion cartésienne, écriture intuitive et outils (au sens indifférencié du marteau, du compas ou du code html), j’attends des idées qui ne viennent ni de la logique ni de la croyance ni d’aucune connaissance, mais de leur mélange.
J’essaie de faire en sorte que ce que je produis ajoute de l’indétermination à ce que je viens d’apprendre. Plus que tout, je souhaite douter tout ce qu’on essaie de m’inculquer.
J’écris des textes qui évoquent des images, j’écris des images (dessins) qui se passent de texte. Je lis, j’écoute la radio, je note ce qui est important de ne pas oublier, je renonce à perdre ce que j’ai aimé, même pendant une seconde.
Souvent, ce qui se trouve là (personnes, volontés, stylos, ordures, pois-chiches) télescope ce que j’entends à la radio, de la bouche de mes amis, d’un discours politique, de la phrase d’une affiche. Sans association accidentelle je vis moins bien.
J’alterne des compositions à sujet unique et des compositions « fourre-tout » que j’appelle aussi Macédoine. J’utilise différents degrés de figuration, du logotype au dessin classique, de la trace fulgurante à l’image plus élaborée, de la tâche accidentelle à la figuration excessive. Le texte, dont la typographie varie également, écrit une histoire fragmentaire, et le sens bifurque, avec cette possibilité tant espérée qu’il ne soit plus le texte correspondant à l’image, sa petite légende, mais qu’ils se rapprochent en s’influençant mutuellement.